Je pense donc je blogue

Commencer l’année 2017 par la rédaction d’un billet de blogue m’est soudainement apparu comme une évidence. Cela s’est manifesté comme une obligation non pas professionnelle, mais bien organique. Il le fallait ! Curieux, me direz-vous ? Pas tant que cela si nous prenons la peine de regarder tout autour. Il semble bien qu’un besoin de dire se soit répandu en ces premiers jours de janvier. Y aurait-il eu un secret quatrième Roi-mage qui serait venu nous livrer de l’encre pour notre Épiphanie pédagogique ?

Il est tout de même fascinant de remarquer qu’en quelques jours d’intervalle à peine autant de gens aient pris la plume (maintenant électronique, va sans dire) pour parler de l’urgence d’écrire, du besoin d’écrire, de la nécessité d’écrire pour relancer le dialogue en éducation. Force est de constater qu’il s’est passé quelque chose dans le ciel de janvier pour que tour à tour et sans que personne ne se consulte que nous ayons eu droit à une aussi riche production. Sinon, comment expliquer les billets de Joël McLean, Marc-André Girard, Roberto Gauvin, Jacques Cool, Sylvain Bérubé (un retour?), Mario Asselin , Jean-Pierre Proulx et de Sébastien Gagnon, pour ne nommer que ceux-là?

Publier au quotidien

Comment expliquer qu’à l’ère des médias sociaux où chacun a la possibilité de réagir in situ au moindre événement qui se déroule dans l’univers que nous assistions à un retour aux billets de blogue ? On peut aisément comprendre que la limite des 140 caractères de Twitter en laisse plusieurs sur leur faim, mais Facebook de son côté offre beaucoup plus de possibilités pour laisser aller sa pensée et développer sur des sujets qui nous tiennent à cœur. La réponse serait-elle ailleurs?

En fait, la réponse se situe dans la forme même du blogue qui appelle une autre approche, une autre attitude quant au sujet traité dans le billet. Les médias sociaux, pour leur part, appellent à la réaction, au partage d’idées et quelques fois (pas assez souvent à mon goût) à des dialogues avec la communauté. Or, il a été démontré à plusieurs occasions que les échanges sur les médias sociaux se font souvent entre gens qui partagent les mêmes intérêts, quand ce n’est pas les mêmes points de vue. On parle ici d’algorithmes et de données croisées.

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C’est entre autres ce qui explique toutes les publicités de mises en forme que vous recevez depuis que vous avez pris la résolution le 1er janvier dernier de vous inscrire au gym ou de partager vos données de votre nouvelle montre Fitbit avec une communauté virtuelle et vertueuse de nouveaux adeptes du conditionnement physique après les abus du temps des Fêtes. Il serait tentant ici d’épiloguer sur la campagne électorale américaine et le phénomène inadmissible de post-vérités qui en a surgit. Je me retiens. Revenons au blogue.

Écrire pour penser

Contrairement aux multiples échanges faits sur les médias sociaux, le billet de blogue permet d’écrire sa pensée et ainsi de développer sa réflexion. Il n’est pas meilleur exercice intellectuel que l’écriture pour faire émerger ses idées, les organiser et les développer dans un tout cohérent. Lavoisier avait beau dire que «ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement et que les mots pour le dire viennent aisément », il n’en demeure pas moins que l’acte d’écrire est un processus. Certes, plus ou moins long ou plus ou moins lent; plus ou moins simple ou plus ou moins complexe, selon les individus.

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Or, j’insiste sur le mot processus que le dictionnaire Larousse de la langue française définit comme [une] « suite continue d’opérations, d’actions constituant la manière de faire, de fabriquer quelque chose ». Et ce quelque chose c’est la pensée, la noèse, comme l’évoquait Jean-Paul Sartre : c’est-à-dire l’«action de se mettre dans l’esprit, conception ou intelligence d’une chose; faculté de penser, intelligence, esprit».

Et ce quelque chose c’est la pensée, la noèse : c’est-à-dire l’«action de se mettre dans l’esprit, conception ou intelligence d’une chose; faculté de penser, intelligence, esprit».

ORTOLANG (Outils et Ressources pour un Traitement Optimisé de la Langue)

Donc, si l’écriture est un processus menant à la fabrication de quelque chose, nous nous trouvons devant un objet d’apprentissage unique et complexe à la fois, sur lequel nous ne saurions jamais trop insister : le savoir-écrire, disait-on lorsque j’étais sur les bancs d’école.

De l’importance d’écrire

Depuis cette époque, le Ministère a augmenté le temps d’enseignement du français langue d’enseignement de 150 à 200 heures/année au premier cycle du secondaire et a ajouté une épreuve obligatoire (mais non diagnostique) en 2e secondaire. Il s’est aussi ajouté une épreuve unique en 5e secondaire et une épreuve uniforme de fin de parcours au niveau collégial. Les résultats sont-ils au rendez-vous? Je me questionne sérieusement et je ne vous parle même pas de l’épreuve de français pour nos finissants en éducation qu’ils peuvent reprendre autant de fois qu’il leur est permis pour obtenir leur droit d’enseigner. Ouch!

Non, je parle d’écriture comme moyen d’appréhender et de comprendre le monde, comme levier pour s’exprimer, comme code donnant accès à toute une culture humaniste et scientifique comme à ses multiples référents et aussi comme outil pour développer le sens critique pour être un citoyen conscient et éclairé. Enfin, l’écriture comme fantastique véhicule de création.

Une visibilité de l’esprit

Au même titre qu’un FabLab ou qu’un MakerSpace, l’écriture peut faire appel à une démarche de pensée design. À travers une série d’itérations, l’écriture incite à émettre une problématique, à soulever des hypothèses, à valider des informations et ses sources, à revenir pour consolider ou infirmer ses hypothèses de départ et à créer de façon concrète une pensée. Pour cela, il faut amener nos élèves à écrire de plus en plus en situation réelle. Nous ne cessons de le répéter que l’élève doit être au cœur des apprentissages, que nous devons nous inspirer de situations réelles pour « engager » les élèves. Or, le billet de blogue est sûrement le format le plus pertinent pour inscrire les élèves dans des apprentissages réels qui les rejoignent dans ce qu’ils sont et ce qu’ils vivent. Cela est d’autant plus pertinent pour les élèves que l’écriture d’un billet de blogue est diffusé en ligne et qu’il appelle des interactions avec le public lecteur.

Mario Asselin a été un des premiers au Québec à le comprendre au début des années 2000. Il a d’ailleurs écrit dernièrement en repensant à ses années à la direction des écoles que « L’expérience de l’utilisation des blogues en milieu scolaire est rapidement devenue libératrice. De fait, j’avais vécu au fil des vingt-deux ans plusieurs belles expériences qui m’éloignaient de la recherche du bon moule, mais jamais je n’avais vécu quelque chose d’aussi puissant, d’aussi satisfaisant. »

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Meilleurs vœux

Je termine en osant formuler un vœu pour 2017 : un vœu pour nos élèves, mais aussi pour les enseignants et les directeurs d’écoles à qui nous demandons d’être des leaders innovants et créatifs. Ce vœu est fou et déraisonnable, car il demande de prendre du temps : du temps pour faire émerger la pensée à travers l’écriture de billets de blogue. Le temps n’est pas infini, nous le savons que trop : il occupe l’espace que nous voulons bien lui accorder en fonction des priorités et des contraintes que nous nous mettons souvent nous-mêmes. Allez, je vous souhaite une belle année.

Une réflexion sur “Je pense donc je blogue

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