Leadership, reconnaissance et stratégies d’innovation : des clés pour valoriser la profession enseignante

(suite de La profession enseignante : au cœur de la modernisation de l’école)

Trois grands constats

Le Sommet international sur la profession enseignante s’est officiellement ouvert en après-midi à la suite de la bénédiction de M. Allan Pard, aîné autochtone et conseiller principal au ministère albertain des Relations avec les Autochtones. Pour amorcer les différentes séances du Sommet, M. Anthony Mackay, modérateur et président-directeur général du Centre d’éducation stratégique, a présenté les trois postulats suivants : de manière générale, tout le monde reconnaît qu’il faut redonner du pouvoir aux enseignants (empowerment). Ensuite, la problématique de l’école demeure, notamment pour les élèves qui s’embêtent : il faut rendre l’école plus attirante et plus stimulante pour les élèves en général. Enfin, bien que les enquêtes internationales aient leurs limites, il faut en tenir compte pour mesurer l’évolution de nos systèmes d’éducation.

Le leadership (1re séance du Sommet)

Lors de la première séance consacrée au leadership, les pays membres ont reconnu l’importance de créer un climat de collaboration et d’inclusion pour inciter les partenaires à s’inscrire dans une démarche d’innovation. Au-delà du partage d’une vision commune, nécessaire à tout déploiement de projet, il faut s’assurer que cette même vision ne se limite pas qu’aux convertis, mais qu’elle rejoigne le plus grand nombre d’acteurs du milieu de l’éducation.

Il faut le reconnaître, le leadership collaboratif est tout de même récent dans le domaine de l’éducation. Apprendre à travailler avec les syndicats, la communauté, les parents et les enseignants tout à la fois, pourrait facilement devenir source de conflits, si cela ne fait pas partie de la culture ambiante. C’est ce qui amène certains pays, comme l’Écosse à créer des ateliers de leadership, de les inclure dans des plans de développement professionnel, comme en Ontario ou encore de revoir la formation des directeurs comme au Japon.

Des initiatives encourageantes ont émané de ce panel, telles que le partage des pratiques exemplaires des collègues joint à la contribution d’experts auxquels se sont greffée la création d’un cadre de leadership collaboratif pour les enseignants, notamment en Nouvelle-Zélande. Diverses formes de mentorat ont été présentées soit pour accueillir les nouveaux enseignants dans la profession, mais aussi pour amener de changements de pratiques pour le personnel en place. De manière générale, il a été reconnu que l’intégration des TIC permettait d’accroître le développement professionnel des enseignants, mais aussi leur collaboration et leur sens du leadership. L’Ontario a même développé des camps d’été portant exclusivement sur le leadership.

La reconnaissance et l’efficacité (2e séance du Sommet)

« Les données de l’Enquête internationale sur les enseignants, l’enseignement et l’apprentissage (TALIS) de l’OCDE indiquent que les systèmes d’éducation les plus fructueux sont ceux au sein desquels l’importance de la profession enseignante est largement reconnue par la société. Les données indiquent aussi que le sentiment d’efficacité du personnel enseignant pourrait être un facteur important de réussite des élèves. »[1]

Dans une époque où les ressources financières se font rares, il est difficile d’améliorer socialement la reconnaissance du personnel enseignant par la rémunération. Éducation internationale se demande même si, dans un tel contexte, nous réussissons à attirer les véritables professionnels que le système d’éducation nécessite. Cet état de fait ne contribue en rien à contrer le cynisme ambiant ni à inscrire les enseignants dans une véritable collaboration, ajoute-t-elle.

L’OCDE reconnaît qu’il est impossible d’agir sur tous les fronts et qu’il est important d’établir des priorités pour dynamiser les systèmes d’éducation. Elle propose, à l’image de plusieurs pays, dont la Finlande, la Nouvelle-Zélande et la Suède, d’utiliser les données probantes de la recherche pour améliorer l’efficacité de nos écoles. Or, il est désolant de découvrir qu’une seule réforme sur dix, parmi toutes celles implantées, donne lieu à des études d’impact. Serions-nous en droit d’interpeler notre propre ministère sur ces études d’impact plus de 15 ans après l’implantation de la réforme au Québec?

Ces études d’impact ont fait la démonstration au fil des ans de l’efficacité des modèles s’appuyant sur la collaboration des intervenants. À l’inverse, la rémunération appuyée sur la méritocratie mise de l’avant dans certains états américains n’a jamais trouvé d’écho dans ces études. Enfin, de manière générale, les pays qui ont des politiques de développement professionnel s’appuyant sur des référentiels clairs observent de plus en plus d’effets positifs tant auprès des enseignants que de la population, qui reconnaît le rôle crucial de l’éducation pour le développement de la société.

Les stratégies d’innovation (3e séance du Sommet)

Ce ne sont pas tous les pays qui, comme la Suède, ont une tradition d’innovation. Depuis longtemps, ce pays nordique partage une attitude d’ouverture quant à la réflexion libre, l’esprit critique et l’échec comme faisant partie de la démarche d’apprentissage. Maintenant, les écoles secondaires suédoises valorisent de plus en plus les approches entrepreneuriales pour encourager les initiatives. De même, les arts et la créativité font partie du cursus des élèves, afin de stimuler les deux sphères du cerveau et ainsi dynamiser la création et l’innovation.

Pour valoriser les initiatives gagnantes, Singapour a développé un fonds de l’innovation basé sur la logique des cercles de qualité. Par exemple, des prix de l’innovation sont remis pour des projets locaux qui seraient transférables dans d’autres établissements du pays. De forts investissements ont été faits dans les compétences du 21e siècle telles que la créativité, le partage et la collaboration. Des applications mobiles ont été développées pour réduire des tâches administratives des enseignants et ainsi libérer du temps.

La Chine encourage le partage des réussites entre pairs, mais aussi avec des collègues d’autres matières. Elle souscrit aux compétences du 21e siècle, supporte grandement le développement des compétences liées aux technologies numériques et promeut les travaux de laboratoire tant pour les élèves que pour les enseignants. Pour sa part, la Nouvelle-Zélande vient d’investir 10 millions de dollars sur trois ans dans un fonds d’innovation et le Royaume-Uni arrime tout son système d’éducation aux réussites du London Challenge pour innover sur le plan national.

Cependant, plusieurs pays avouent leurs difficultés à faire preuve d’innovation pour différentes raisons allant de la définition de la profession enseignante et de son rôle social en passant par les relations de travail jusqu’aux mentalités nationales à réinventer voire la méconnaissance des défis à relever pour certains acteurs. L’OCDE reconnaît elle-même qu’il est difficile d’innover avec les modèles d’écoles tels que nous les connaissons aujourd’hui.

Finalement, il ressort de cette séance que les stratégies d’innovation trouvent leurs meilleures réalisations quand il y a un fort leadership et lorsque les enseignants sont partie prenante des orientations avec les directions et les responsables du ministère; que les rôles dans le déploiement des stratégies sont clairement définis; que l’autonomie et le leadership des enseignants peuvent s’exercer et que les temps de partage et de formation font partie de ces stratégies.

Quelles sont les prochaines étapes? (Séance de clôture)

Lors de cette séance de clôture, les porte-parole de chacun des pays présents ont été invités à émettre trois orientations sur lesquelles il faudrait s’attarder en vue du prochain Sommet international de Berlin 2016. Il appert que les défis sont multiples pour cette école du 21e siècle qui tarde à s’implanter, comme plusieurs d’entre nous le souhaitent.

Force est de constater que les grands thèmes sur lesquels les pays membres veulent faire porter leurs efforts sont variés. Parmi eux figurent le développement professionnel (formation initiale, continue, tout au long de la vie, lieux d’apprentissage…), la gestion collaborative et le leadership (partage des responsabilités, observation des pairs, partage de pratiques…), l’intégration des technologies numériques et de la recherche à l’école (création de communautés d’apprentissage, travailleur avec des données probantes et des chercheurs sur le terrain, intégrer les enseignants à la recherche…), l’accès équitable en matière d’éducation (enseignement national, à distance, en région…), le développement des compétences du 21e siècle (collaboration, créativité, communication…), l’ouverture sur la communauté (entreprises, collectivité, parents…), le rehaussement des curriculum (enseignement de base renforcé, compétences transversales, créativité…), et bien évidemment, la reconnaissance de la profession enseignante (valorisation, reconnaissance sociale, attitude innovante, sentiment de confiance, candidat de haut niveau…).

Finalement

Rares sont les pays qui n’ont pas connu de réformes de leur système d’éducation dans les dernières années. Ces réformes poursuivaient toutes les mêmes objectifs, soit celui d’améliorer la qualité des apprentissages des élèves et celui de hausser les taux de diplomation.

Les enquêtes internationales comme TALIS ou PISA, bien qu’elles comportent leurs limites, mettent en lumière les forces et les faiblesses de nos systèmes d’éducation respectifs. Le chemin à parcourir n’est pas le même pour tous, mais le défi de l’adaptation est le même, peu importe le pays où nous nous trouvons.

Le leadership doit être redonné aux enseignants et les élèves doivent avoir le goût d’être à l’école. Pour ce faire, devrons-nous remettre en cause le modèle même de l’école? Poser la question, c’est y répondre diront certains.

Dans ce contexte, la conclusion d’Andreas Schleicher de l’OCDE prend toute sa valeur. « Il faut rendre l’éducation intéressante comme si nous vendions un produit de luxe ».

[1] Sommet international sur la profession enseignante : Mettre en œuvre des politiques et des pratiques hautement efficaces en enseignement. Mars 2015. (Programme) p. 11.

Sommet pancanadien sur la profession enseignante

Les 29 et 30 mars derniers se tenait le 5e Sommet international sur la profession enseignante à Banff en Alberta. La veille, le 28 mars, était consacrée au Sommet pancanadien sur la profession enseignante qui réunissait, entre autres, le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMEC). Le Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur, de la Science et de la Recherche (MEESR) a invité divers acteurs du monde de l’éducation, dont la FÉEP, à prendre part à cet événement d’envergure.  Comment s’y soustraire?

Le Sommet pancanadien a donné lieu à quatre grandes séances pour explorer les questions suivantes : Comment favoriser l’innovation au service de l’apprentissage? Comment favoriser la responsabilisation collective pour l’amélioration constante de l’enseignement et de l’apprentissage? Quels changements cruciaux apporter pour permettre une éducation pertinente et équitable pour les Autochtones? Comment promouvoir l’équité pour tous les apprenants?

Ces séances nous ont permis d’entendre l’état de la situation au Canada grâce à la collaboration d’Andreas Schleicher de l’OCDE, Michael Fullan de l’Université de Toronto, Julie Desjardins vice-doyenne de l’Université de Sherbrooke, Darren McKee des Conseils scolaires de la Saskatchewan et Avis Glaze d’Edu-quest international et anciennement du ministère de l’Éducation de l’Ontario.

Andreas Schleicher a tout d’abord dressé le tableau de la profession enseignante dans les pays de l’OCDE.  L’enquête TALIS (enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage de l’OCDE) révèle qu’il y a un grand décalage entre ce que les enseignants savent qu’ils doivent faire et ce qu’ils font véritablement en classe.  Ainsi, les trois quarts des enseignants qui ont participé à l’étude disent ne pas avoir le temps de se perfectionner, alors que ceux qui se perfectionnent constatent de façon unanime les effets positifs sur les apprentissages.

Comment favoriser l’innovation au service de l’apprentissage?

Les facteurs observés qui ont entrainé des changements positifs pour la profession enseignante et les apprentissages s’appuient de façon générale sur des approches collaboratives.  Les systèmes d’éducation qui ont amené leurs enseignants à faire du travail collaboratif, à partager leurs meilleures pratiques pédagogiques et à s’observer mutuellement en classe se sont non seulement améliorés, mais cela a entrainé une hausse de l’engagement et de la motivation du personnel enseignant.

Trois grands facteurs ressortent afin de favoriser les innovations et ainsi créer un impact sur l’apprentissage des élèves. Il importe tout d’abord d’assurer une formation initiale de qualité aux futurs enseignants qui sauront s’inscrire dans une démarche de formation continue tout au long de leur vie (longlife learning).  L’importance de créer des liens entre la recherche et la pratique a été réaffirmée  comme facteur stimulant les innovations. Enfin, le leadership enseignant doit non seulement être reconnu, mais il se doit d’être encouragé pour favoriser l’innovation et espérer des changements durables des pratiques.

Comment favoriser la responsabilisation collective pour l’amélioration constante de l’enseignement et de l’apprentissage?

Julie Desjardins de l’Université de Sherbrooke fait appel aux croyances et aux valeurs pour faire évoluer les pratiques et espérer que celles-ci s’inscrivent dans le temps.  Pour cela, il faut que les enseignants sentent que l’innovation peut venir d’eux, qu’ils doivent travailler ensemble et que le changement fait partie de leurs responsabilités.  Michael Fullan de l’Université de Toronto endosse aussi la notion de valeurs et de culture qui doivent se refléter, selon lui, dans une identité professionnelle qui s’appuierait sur un référentiel de compétences commun pour guider les enseignants dans leur rôle.  Il note au passage la surcharge administrative qui empêche le leadership pédagogique des enseignants. Il souhaite aussi que les enseignants, tout comme les élèves, soient des apprenants connectés pendant et au-delà des heures de classe.  Pour ce faire, il faut que l’école, l’élève et la maison soient branchées et ouvertes sur la communauté.  Il note qu’il importe de ne pas tout changer, mais de reconnaître les bonnes pratiques des enseignants pour ainsi leur permettre d’influencer  ce qu’il faut améliorer et ultimement de gagner leur adhésion.  Il termine en souhaitant voir naître une culture qui valoriserait le succès et le développement et où les enseignants pourraient collaborer grâce à un système de mentorat qui pourrait susciter ce fameux changement de culture.

Quels changements cruciaux apporter pour permettre une éducation pertinente et équitable pour les Autochtones?

L’éducation n’est pas desservie de la même manière auprès des Autochtones du Canada. Leur situation scolaire n’est pas la même au Québec (qui est de juridiction provinciale) que dans le reste du pays qui dépend encore des lois fédérales du début des années 60. Darren McKee de la Saskatchewan espère qu’un lien de confiance se développe dans les relations avec le fédéral et les communautés, que la réalité culturelle des Autochtones soit reconnue dans les curriculums et que les structures scolaires s’implantent dans les communautés au lieu de forcer les élèves à l’exil.

Comment promouvoir l’équité pour tous les apprenants?

Pour promouvoir l’équité pour tous les apprenants, Avis Glaze donne en exemple le modèle ontarien qui oblige les élèves à fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 18 ans.  Ce facteur n’est pas suffisant à lui seul pour justifier l’augmentation du taux de diplomation de 15% en 10 ans. D’importants travaux en littératie et en numératie ont servi à revoir le curriculum et le temps d’enseignement de certaines matières,  l’importance des relations avec les élèves est (re)devenue une priorité et chaque élève est inscrit dans un plan de formation dans lequel il s’engage. Bref, le gouvernement ontarien a décidé d’identifier les lacunes, de mesurer la situation et l’impact des changements apportés avant de déployer les solutions qui ont fait que les apprenants réussissent mieux qu’il y a dix ans.

Cette première journée du Sommet sur la profession enseignante a permis de mettre la table et de faire le tour d’une certaine réalité canadienne qui nous échappe souvent en raison de la légitimité provinciale de nos ministères respectifs. Les deux jours suivants du Sommet international élargiront la perspective sur la profession enseignante en 2015.