Médias sociaux et identité numérique : un miroir déformé ?

Thierry Karsenti m’a invité à donner une des conférences principales au Sommet de l’iPad et du numérique en éducation 2017 à la suite de la rédaction d’un billet de blogue en novembre dernier.  Au moment d’accepter son invitation, j’étais loin de me douter que les événements allaient se bousculer à un tel rythme sur Facebook, Twitter, Google et compagnie. L’actualité s’est chargée de me fournir beaucoup trop de tristes exemples contre lesquels nous devons apprendre à nous prémunir. Vous pouvez le constater dans ma présentation.

 

 

 

 

 

 

 

 

https://fr.slideshare.net/NormandBrodeur/mdias-sociaux-et-identit-numrique-un-miroir-dform/NormandBrodeur/mdias-sociaux-et-identit-numrique-un-miroir-dform

Comment départager le mensonge de la vérité sur les médias sociaux ?

Mensonge, vérité, usurpation de propos, montage honnête ou frauduleux : comment démêler le vrai du faux dans les informations qui circulent sur les médias sociaux ? D’une part, les histoires sordides de professionnels de l’information, qui sont pourtant soumis à un code de déontologie, n’ont rien d’édifiant et sont loin d’être des modèles à proposer à nos élèves.

D’autre part, les différentes traces et empreintes que nous laissons lorsque nous naviguons sur le Web sont autant de renseignements que nous donnons à ces fournisseurs. Il peut paraître banal de répondre à un questionnaire sur les habitudes de vie ou sur l’équilibre alimentaire pour nous détendre. Or, il ne faudra pas s’étonner de recevoir par la suite des publicités ou des alertes de gymnases ou de chaines alimentaires spécialisées. Je vous cite des questionnaires anodins. Vous pouvez imaginer la suite avec des sondages plus personnels ou plus intimes.

Ces informations que nous donnons de plein gré contribuent à former notre image d’utilisateur et projettent de nous une image sur les médias sociaux. Les algorithmes derrière ces « like » que nous cliquons, ces informations que nous relayons ou ses sondages auxquels nous répondons dessinent le portrait de nos goûts, de nos habitudes et de nos relations. Mieux, les réseaux sociaux nous renvoient des informations qui viennent consolider les opinions que nous défendons et nous suggèrent même des « amis » qui « pensent » comme nous. Inquiétant !

Quelle image affichons-nous ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Les natifs du numérique

Pour leur part, les natifs du numérique qui sont assis sur les bancs d’école possèdent une grande aisance avec les outils numériques. Certes, mais ils les utilisent encore de façon limitée, peut-on lire dans les différentes études. La communication sur les différents réseaux, la recherche d’informations et le jeu constituent leurs principales activités. Or, qu’advient-il des traces laissées lors de leur navigation sur le net ? L’école aurait-elle un rôle à jouer pour développer les habiletés informationnelles et numériques des élèves quant à l’identité et à la citoyenneté numériques ?

Ce n’est pas parce qu’ils sont nés avec les NTIC que les jeunes possèdent les clés pour naviguer adéquatement sur les médias sociaux. « Ceux-ci [les natifs] ont beau passer une grande quantité de temps à l’extérieur de la classe sur les réseaux sociaux, ils n’acquièrent pas nécessairement les compétences qui leur permettraient de les utiliser de façon optimale. »[i]

Une rupture générationnelle se profile quand il est question du traitement de l’information recherchée. L’usage que font les natifs du numérique sur les médias sociaux ne semble plus être le même que celui des générations précédentes en regard de la quête des informations. « Les jeunes se soucient moins d’être informés que de savoir où trouver l’information », nous affirme Michel Cartier sur son site 21e siècle. Si tel est le cas, nous pouvons nous questionner sur le sens qui se perd lorsque nous ne pouvons lier les informations entre elles. Serions-nous vis-à-vis un phénomène de granulation de l’information ?

« Ceux-ci [les natifs] ont beau passer une grande quantité de temps à l’extérieur de la classe sur les réseaux sociaux, ils n’acquièrent pas nécessairement les compétences qui leur permettraient de les utiliser de façon optimale. »

École Branchée, (septembre 2015)

L’École à nouveau interpelée

Encore une fois, c’est vers l’école que nous nous tournons pour former ce citoyen numérique… même si l’école tarde à effectuer son propre virage numérique. Nous ne sommes pas à une dichotomie près, direz-vous. Plus sérieusement, il devient de plus en plus urgent de doter notre système d’éducation d’une vision numérique claire si nous voulons vraiment préparer nos élèves à vivre dans une société numérique incontournable. A-t-on besoin de le rappeler ?

Pour cela, je vous invite à prendre connaissance de la présentation de Sébastien Stasse aussi offerte au Sommet de l’iPad et du numérique en éducation 2017. « La citoyenneté numérique, le nouveau défi de la présence numérique des élèves » est disponible sur son site In scholam.

Les défis que doit relever l’école sont multiples quand on pense à former ce citoyen du 21e siècle : responsable, engagé, autonome, inventif et créatif. Aux enjeux de la littératie et de la numératie, s’ajoutent ceux de la littératie numérique, afin d’éviter une fracture numérique dramatique pour la génération à venir. Comme le disent si bien Landry et Letelleir (2016) « Une éducation critique aux médias n’est plus une option; elle s’impose comme une nécessaire initiation à la citoyenneté ».

 

[i] https://ecolebranchee.com/2015/09/29/alphabetiser-les-jeunes-au-web-une-necessite-pour-lecole-daujourdhui/

Comment négocier avec la part de mensonge ?

 

La semaine dernière a été riche en actualité, notamment en ce qui a trait à la véracité des informations qui circulent sur les médias sociaux. Mensonges d’un côté, usurpation de propos de l’autre : il n’en fallait pas davantage pour m’outrer à l’heure où nous nous démenons tant pour inculquer des notions de citoyenneté numérique responsable à nos élèves. Les élites médiatiques ont été tout, sauf des modèles à citer en exemple dans nos écoles.

La course à la présidence des États-Unis n’est pas étrangère à ce lot d’articles, dont on peut douter du bien-fondé. Elle en a même été l’élément déclencheur. Cela est tellement vrai que l’Huffington Post a publié le 17 novembre cet article au titre très évocateur : « Sur Facebook, les fausses informations ont bien eu plus de succès que les vrais articles pendant les trois derniers mois avant l’élection de Donald Trump ».

Plus près de nous, la journaliste Suzanne Colpron a été relevée de ses fonctions pour une période indéterminée lisait-on dans La Presse Plus du 19 novembre dernier pour s’être attribué des extraits d’entrevues réalisées par d’autres collègues journalistes. On parle ici de plagiat.

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Ne nous méprenons pas, il est ici question de professionnels de l’information bien au fait des règles journalistiques qui exigent de valider ses sources d’information deux fois plutôt qu’une avant de publier un article et de respecter les plus élémentaires règles de déontologie qui demandent de citer ces mêmes sources correctement. Le malaise est tellement grand que le quotidien La Presse en a fait le propos de son éditorial de dimanche.

Attitude mitigée de Facebook

De multiples voix se sont levées pour faire part de leurs inquiétudes au sujet de la capacité des gens à discerner le vrai du faux dans la marée d’informations sur les médias sociaux. Mark Zuckenberg, PDG de Facebook, a voulu diminuer l’impact des fausses informations sur Facebook en affirmant qu’elles ne représentaient que 1%. « 99 % de tout ce que les gens voient sur Facebook est authentique. Seule une minorité sont des articles mensongers ou des hoax [des faux] », déclarait-il sur sa page Facebook, comme le rappelle le blogue de IBM, Les clés de demain. N’empêche, Facebook changeait discrètement sa politique commerciale où il est indiqué aux annonceurs qu’ils doivent produire du contenu de qualité qui ne soit ni illégal, ni pornographique et qui ne prône pas la violence ni (et cela c’est nouveau depuis quelques jours) de fausses informations. Triste à souhait.

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Les « natifs du numérique » oui, mais

Les « natifs du numérique », comme plusieurs se plaisent à les appeler sont assis dans nos salles de classe et tous, probablement sans exception, ont accès à un appareil numérique. Or, les études le prouvent, l’utilisation que nos élèves font de ces outils se limite souvent à la communication (tous médias sociaux confondus), la recherche d’informations (pour apprendre pour et par soi ou pour les travaux scolaires) et les jeux (comme forme ludique, mais aussi d’apprentissage). L’école a donc un rôle à jouer pour développer les habiletés informationnelles et numériques (je n’aime pas le mot computationnel) et la gestion de l’identité numérique qui l’accompagne et, plus largement encore, celle de la citoyenneté numérique. Vaste programme, s’il en faut !

Nous sommes ce que nous publions

À l’heure du tout paraître et du tout afficher, il faut se rendre à l’évidence que nous sommes ce que nous publions. Textes, commentaires, photos, participation à des événements contribuent à dessiner notre empreinte numérique, notre signature. Il vaut mieux sensibiliser les élèves de façon proactive par l’éducation, plutôt que de gérer des situations de crise malheureuses et souvent évitables. « Aujourd’hui, quand nous partageons, il faut, déjà, penser à après-demain. Nous ne pouvons plus nous cacher derrière l’outil », nous rappelle Nicholas Luherne dans son article L’indispensable éducation aux médias. Ne pensons plus que les employeurs ne consultent pas les réseaux sociaux avant de procéder à l’embauche de nouveau personnel.

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Des initiatives heureuses

Force est de constater que des initiatives se multiplient un peu partout, pour aider les élèves et même leurs parents à comprendre les enjeux liés à la citoyenneté numérique. Tout dernièrement, lors du Sommet Google francophone à l’Académie Lafontaine, Manon Rollin, du Collège préuniversitaire Nouvelles-Frontières, présentait son iBook Branché à l’École : Guide de formation sur l’identité et la citoyenneté numérique. Le Collège Saint-Jean-Vianney de Montréal a maintenant une tradition avec son Colloque parents 3.0. Plusieurs modèles de chartes numériques tant pour le primaire que pour le secondaire sont affichés dans les classes de nos écoles. La vaste majorité des écoles qui ont fait entrer le numérique dans leurs murs ont un programme de citoyenneté numérique qui insiste sur la notion d’empreinte que nous laissons sur le Net, donc de notre identité numérique.

Québec répond à l’appel

La problématique est à ce point inquiétante que la ministre québécoise responsable de l’Accès à l’information et de la Réforme des institutions démocratiques, Mme Rita de Santis, a annoncé cette semaine le lancement d’une tournée de sensibilisation « Afin d’inciter les jeunes utilisateurs des réseaux sociaux et de divers sites web à adopter un comportement responsable et à porter une attention particulière aux renseignements personnels et à la vie privée qu’ils exposent dans le cyberespace ».

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L’intelligence artificielle à notre secours ?

Enseigner aux élèves la pertinence des informations n’est pas chose facile. Comment sélectionner le bon grain de l’ivraie ? La rumeur de l’information crédible ? La source douteuse d’une autre en apparence fiable ? On pourrait croire que les avancées en intelligence artificielle (IA) contribueraient à résoudre cette difficile équation. Malheureusement, il semble qu’il n’en est rien. Même l’IA a ses limites : notamment en ce qui concerne le jugement critique à appliquer dans de tels cas. « La probabilité permet certes de mesurer la quantité d’information dans un cadre technique. Mais elle ne dit rien de la pertinence de cette information », fait remarquer Frédéric Duriez dans son article Évaluer la pertinence d’une information : un défi de sensibilité pour l’intelligence artificielle.

Devoir de vérité et d’accompagnement

« Il est fastidieux de rechercher la vérité », précisent Landry et Letellier, dans L’Éducation aux médias à l’ère numérique, récemment publiée aux PUM. « Une éducation critique aux médias n’est pas une option ; elle s’impose désormais comme une nécessaire initiation à la citoyenneté », concluent-ils.

Les défis que doit relever l’École sont multiples quand on parle de former ce citoyen du XXIe siècle : responsable, engagé, autonome, inventif et créatif. Aux enjeux de la littératie et de la numératie, s’ajoutent ceux de la littératie numérique, afin de prévenir une fracture numérique qui ne pourrait être que dramatique si rien n’est fait. Pour cela, il importe que la formation initiale des enseignants soit sérieusement mise à jour et que les enseignants déjà en poste s’engagent dans une démarche de formation continue pour répondre adéquatement à cet appel de modernité.