« Les bœufs sont lents, mais la terre est patiente » (proverbe cambodgien)
S’il est un domaine où la valorisation professionnelle fait défaut, c’est bien celui de l’enseignement. Les moments plus officiels pour souligner l’engagement exceptionnel des enseignants auprès de leurs élèves, dans l’élaboration de projets particuliers ou dans des démarches de développement professionnel sont plutôt rares. Pourtant, lorsqu’ils arrivent ces moments, ils peuvent engendrer de la gêne et de l’inconfort, comme l’a souligné Marc-André Girard, dans son récent billet intitulé Le gala des profs qui dérangent.
Cette difficile valorisation de la profession serait-elle liée à une question de culture du milieu ? Quand on sait que le degré de confiance des Canadiens à l’égard des enseignants n’a cessé de croître depuis les années 90, il y a tout lieu de s’interroger. La firme Léger Marketing révélait au début des années 2000 que la population avait confiance aux enseignants dans une proportion de 88%; à un point d’écart seulement sous les médecins [1]. Il y a tout lieu de s’interroger.
L’innovation n’est pas donnée au premier venu
Qui sont les candidats à se présenter aux portes des universités en éducation? Pour la très vaste majorité, il s’agirait de jeunes qui ont aimé l’école, le milieu dans lequel ils ont évolué et ont appris et qu’ils souhaitent recréer. Ce n’est pas moi qui le dis, mais bien Maurice Tardif, de l’Université de Montréal, dans son étude sur la profession intitulée La condition enseignante au Québec du XIXe au XXIe siècle.
« Je reproduis bien ce que je connais bien », semble être le credo de ces jeunes universitaires. Et puis, il y a les autres (dont je suis) qui sont arrivés à l’enseignement par défi ou par conviction, en se disant qu’il était possible de faire les choses autrement. J’avoue que mon passage au secondaire a été d’une grande tristesse, n’eût été de la rencontre avec 2 ou 3 enseignant(e)s qui m’ont rejoint (lire cru en moi ou soupçonné mon potentiel qui était en grande dormance). Oui, j’ai joué le jeu de l’école qu’on me demandait dans les années 70. Le phénomène n’est pas propre au XXIe siècle.
La formation initiale en éducation a longtemps pu fonctionner dans un Québec qui avait tout à construire. Relisez les Insolences du frère Untel pour vous en convaincre. Nous arrivons de loin! Mgr Parent et ses acolytes ont réalisé un travail titanesque en nous dotant d’un ministère de l’Éducation et d’un Conseil supérieur de l’Éducation. Merci! En bref, les recommandations du Rapport Parent ont fait passer le système d’éducation du Québec du Moyen-Âge au XXe siècle. Nous ne saluerons jamais assez le courage et l’audace de ces bâtisseurs du début des années 60.
Nous voici maintenant au XXIe siècle. Le monde a évolué et les besoins en matière de formation des maîtres aussi. Ce n’est pas une illusion! Nous ne pouvons plus demander aux jeunes enseignants de reproduire le milieu qu’ils ont tant aimé. Les enseignant(e)s d’aujourd’hui sont des agents de changement, or ils ne sont pas préparés à ce changement de culture. Je laisse le soin aux universités de modifier la formation initiale, afin qu’elle s’adapte mieux aux exigences de la profession.
Je ne baisse pas les bras pour autant et je milite à travers mes actions et mes textes pour une véritable culture de formation continue. Nos enseignants travaillent bien et nos jeunes candidats arrivent encore aujourd’hui en 2017 avec une foi pédagogique prête à déplacer des montagnes. Il est alors de notre devoir de les accompagner, de les former afin qu’ils fassent mieux ce qu’ils font déjà bien, bien sûr. Nous devons aussi les mettre en contact avec la recherche, les données probantes, les expérimentations porteuses de renouveau; avec les forums de discussion tels que TacEdChat, les lieux d’échanges comme les Soupers pédagogiques presque parfaits USPPP, les sites de formation continue comme CADRE21 et les multiples réseaux sociaux Facebook et Twitter.
Les enseignant(e)s d’aujourd’hui sont des agents de changement,
or ils ne sont pas préparés à ce changement de culture.
Le milieu de l’éducation a ses contraintes et son rythme qui lui sont propres aussi. Raison de plus pour aller vers chaque enseignant et le prendre où il est dans son développement professionnel. Si un des premiers facteurs de motivation et de réussite chez les élèves est le lien de confiance avec son enseignant, pourquoi en serait-ce autrement avec les enseignants eux-mêmes lorsque nous leur parlons de formation continue.
Je me rappelle la conférence d’ouverture de Benoit Petit à Clair 2016 au Nouveau-Brunswick, quand il nous expliquait l’importance de composer avec l’affectif des enseignants avant de parler de changement. Il nous invitait à faire nommer, à reconnaître, à prendre en compte les craintes ou les appréhensions des enseignants dans le but de construire ensemble, plutôt que d’imposer (et de braquer les enseignants).
Pour ne laisser personne derrière
Les changements en éducation sont là et il est vain de s’y opposer. Ce n’est pas une illusion, je le répète. Or, il faut s’assurer que tous nos enseignant(e)s soient en mesure de progresser (Growth mindset) personnellement et professionnellement sans laisser personne en cours de route. No Teacher left behind, disent les Anglais. Cette philosophie du changement suggère de proposer des défis pertinents (relevant) de nature personnelle et professionnelle aux enseignants et de leur faire vivre les succès au fur et à mesure. C’est ainsi que se développe le sentiment d’efficacité personnelle. Comme le dit si bien George Couros le changement est un processus « Innovation is a process not a product ». Ainsi, les collègues pourront véritablement applaudir les succès des enseignants qui progressent, tout comme eux… parce que c’est normal de vouloir s’améliorer quand nous aimons ce que nous faisons et les jeunes avec qui nous travaillons.
[1] Presse canadienne et Léger Marketing. La perception des Canadiens à l’Égard de certaines professions : Rapport. Montréal, 2003.